Origine du Jazz Manouche

Le jazz manouche, swing gitan, gypsy swing est un courant musical né en France, à Paris dans les années 1930 sous l’impulsion de Django Reinhardt et du « Quintette du Hot Club de France ». Quasiment le seul européen ayant marqué l’Histoire du jazz, Django Reinhardt a inventé à lui seul un style qui n’existait pas avant lui. En véritable avant-gardiste et doté d’une mémoire auditive extraordinaire, il inventa un style de musique qui mélange musique tsigane (klezmer), bal musette, swing américain et be-bop ainsi que musique classique. Il était un fervent admirateur de Claude Debussy.

Sa forme originale comportait une section rythmique assurée par deux guitares et une contrebasse, un violon et aucun instrument à percussion. Le style, caractérisé à l’origine par les instruments à cordes, a été fondé par Django Reinhardt et le violoniste Stéphane Grappelli, et a été rejoint au fil des années par des accordéonistes et des clarinettistes.

Django Reinhardt, le génie novateur

Django Reinhardt est né le 23 janvier 1910 dans une roulotte près de Luttre sur la route de Charleroi en Belgique. Jean « Django » Reinhardt est un manouche. Ce surnom dont personne ne connait l’origine signifie « je réveille ». Très jeune, Django est attiré par la musique, influencé par son père violoniste. Avec son frère Joseph surnommé « Nin-Nin », il grandit dans un univers insalubre réservé aux romanichels dans un immense bidonville à l’orée de Paris. Il découvre et s’initie très tôt au banjo. Jouant inlassablement sur les cordes rouillées, il développe une technique époustouflante s’avérant être un véritable prodige. A 12 ans, il commence à jouer dans les cabarets parisiens. 

Django

Le 26 octobre 1928, Django, alors âgé de 18 ans, rentre chez lui dans sa roulotte installée à Saint-Ouen. Il renverse alors une bougie allumée qui embrase les fleurs en celluloïd provoquant un incendie très rapide dans la roulotte. Django et sa femme sont blessés gravement. Django est brûlé au troisième degré. Son annulaire et auriculaire resteront crispés à jamais. Il découvre lors sa convalescence la guitare, instrument plus facile à jouer que le banjo et développe à cause de son handicap de la main gauche, une nouvelle façon de jouer en utilisant seulement l’index et le majeur pour improviser sur le manche. Pour la rythmique, il arrive à plaquer des accords en se servant de son pouce et en plaquant en barré ses deux doigts ankylosés.

Début de carrière de Django Reinhardt

Au début des années 30, le jazz arrive en France incarné par le concert de Duke Ellington à l’Olympia. Selon la légende, Django aurait écouté du jazz la première fois à Pigalle en 1926 à « L’abbaye de Thélème ». Mais c’est à partir de 1930 à Toulon que Reinhardt découvre réellement le jazz grâce au peintre et photographe Émile Savitry. Il réalise son premier enregistrement le 22 mai 1931 avec Louis Vola et son orchestre. En décembre 1932, il rencontre le chanteur Jean Sablon qui lui propose une tournée.

DJANGO REINHARDT ET LE QUINTETTE HOT CLUB DE FRANCE

hot club de france

En 1934, grâce à Pierre Noury, le « Quintette du Hot Club de France » est crée avec Stéphane Grappelli au violon, Louis Vola à la contrebasse, Joseph Reinhardt et Roger Chaput au guitares rythmiques. Le jazz manouche est né. C’est le premier orchestre à cordes français et européen à s’intéresser au jazz. Les cinq musiciens ont inventé une musique nouvelle qui remporte un franc succès à Paris. Cette manière de jouer le jazz sans batterie avec le swing impulsé par le son court et puissant de la pompe des guitares « Selmer » et de la contrebasse séduira même les américains. Il qualifieront cette musique de « French jazz ».

Les années suivantes, le « Quintette du Hot Club de France »se produit partout en Europe bien que les retards fréquents de Django crée des tensions au sein du groupe. Lorsque que la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, le quintette est en tournée en Angleterre. Django retourne alors en France où il enregistre « Nuages » avec le clarinettiste Hubert Rostaing. C’est sa composition certainement la plus célèbre, une mélodie triste et nostalgique saisissant l’air du temps de l’époque. A la libération, il retrouve Grappelli avec qui il enregistre « Echoes of France », une « Marseillaise » revisitée en swing qui sera interdite.

La fin de vie de Django Reinhardt (1945-1953)

Django est l’un des premiers à comprendre le be-bop, cette révolution du jazz qui vient des Etats-Unis et porté par le légendaire saxophoniste Charlie Parker. En 1946, il est inventé par le chef d’orchestre et pianiste américain Duke Ellington à faire une tournée avec lui aux Etats-Unis. Malheureusement, l’association entre le Manouche et Duke s’avère décevante. Habitué à sa liberté de nomade, ne parlant pas anglais, Django est désoeuvré et ne se fait pas au professionnalisme américain d’un big-band. 

Il rentre en France en 1947 et s’éloigne un peu de la guitare, se consacrant à ses autres passions (la peinture, la pêche et le billard). En 1951, Django s’installe à Samois-sur-Seine, près de Paris. C’est un renouveau pour lui. Son jeu est plus inspiré que jamais et il joue régulièrement avec les meilleurs boppers français. Il enregistre son dernier disque le 8 avril 1953 avec Martial Solal au piano. Il meurt un mois plus tard d’une congestion cérébrale le 16 mai 1953 à Samois-sur-Seine. Django Reinhardt enregistra tout au long de sa courte existence une véritable oeuvre musicale. Il a composé une centaine de morceaux, tous très en avance sur son temps.

Héritage du jazz manouche

A la mort de Django, ceux qui l’ont connu vont continuer à jouer cette musique qu’il a crée. Ils n’ont cessé de faire vivre sa musique au cours des décennies qui ont suivi sa disparition. En enregistrant ou en jouant dans les cabarets, tous ces musiciens ont contribué à maintenir en vie la flamme allumée par Django. Grâce à la famille Ferret, la musique manouche est joué dans Paris puis elle s’exporte en Allemagne au début des années 60. 

Dans les années 70, de nombreux musiciens tsiganes originaires de France, de Hollande et d’Allemagne ont le grand mérite d’avoir amorcé le phénomène du jazz manouche à une époque où le style s’essouflait.

Après une période de diffusion très confidentielle dans les années 80, la musique de Django revient sur le devant de la scène dans les années 90 grâce à des musiciens tels que Angelo Debarre, Stochelo Rosenberg ou Romane. 

le renouveau du jazz manouche en 2000

Au début des années 2000, c’est l’avénement du jazz manouche en France et dans le monde sous l’impulsion du génie français Bireli Lagrene. En 2002, Bireli Lagrene se produit au festival de jazz à Vienne lors d’un concert mythique entouré de tous les grands noms du jazz manouche. La musique dumaître Reinhardt est alors enfin à la mode. Grâce à des lieux mythiques comme « la Chope aux Puces » à Saint-Ouen ou « Le Clairon des Chasseurs » à Montmartre, le jazz manouche séduit un large public. C’est tout naturellement que des artistes de variétés comme Sanseverino ou Thomas Dutronc intègre ce style à leur chansons. 

Bireli Lagrene - jazz manouche

Biréli Lagrène, le plus héritier de Django reinhardt

Analyse du jazz manouche : caractéristiques musicales et techniques

La technique du médiator

La technique du « jeu en butée » est la technique de médiator typique utilisée par les manouches lors de leur improvisation solo. Cela consiste à frapper la corde vers le bas et le médiator termine sa course sur la corde du dessous. Ce mouvement est la base de la technique manouche et il faut vraiment bien le maîtriser. Cela permet de faire sonner plus fort cet instrument acoustique et d’avoir cette articulation typique du jeu de Django Reinhardt. Cela s’oppose à une technique courante à la guitare appelé « aller-retour » qui consiste à alterner coup vers le bas et vers le haut même si on change de corde.

La technique de butée est la base de la guitare manouche, il est donc important de la maîtriser au maximum. L’avantage de cette technique est que l’attaque est dirigée vers le bas, ce qui permet de combiner la puissance du mouvement de votre poignet avec le poids de vos mains. Le gain en volume est donc important, permettant ainsi au soliste de rivaliser en volume avec des instruments naturellement forts comme un violon ou plusieurs guitares en accompagnement. Bien que cette technique nécessite généralement de frapper deux fois de suite la même corde, avec de la pratique, on peut la jouer très précisément à des tempos très élevés (triolet de noires de Stochelo Rosenberg ).

Analyse harmonique du style manouche

L’harmonie, c’est à dire les accords utilisés pour le jazz manouche sont assez similaires au jazz traditionnel. Cela étant, quelques subtilités existent concernant les enrichissements des accords à trois sons. Ces enrichissements particuliers sont responsables du son typique manouche. Dans les morceau en tonalité mineure, les accords sont enrichis d’une sixte majeure en jazz manouche. Dans sa célèbre composition « Minor Swing », Django utilise les accords de Am6, Dm6 et E7 alors qu’en jazz traditionnel on aurait plutôt utilisé Am7 et Dm7. Une autre astuce typique manouche et issu de la créativité de Django est l’utilisation abondante de l’arpège diminué. Cet arpège est utilisé en substitution aux accord de 7e de dominante. Par exemple, au-dessus de E7, les manouches jouent un arpège diminué 7 situé sur la tierce, quinte, septième et neuvième bémol de l’accord 7. Cela permet de faire entendre un arpège de E7b9 sans fondamentale. Cet arpège est particulièrement utilisé puisqu’il est facilement jouable sur le manche de manière horizontale.

N’oublions pas que Django a du inventé une nouvelle manière de parcourir le manche du fait de son handicap. Les accords majeurs au lieu d’être joué avec une septième majeure comme c’est le cas en jazz sont joués avec une sixte majeure et une neuvième. Il en résulte un son plus neutre, plus solide et simple. Les manouches utilisent aussi beaucoup les arpèges mineurs ou majeurs simples en ajoutant la neuvième. Ces arpèges sont joués en démanché pour plus de virtuosité.

La pompe manouche remplace la batterie

Le style manouche nécessite un accompagnateur pour mettre en valeur le soliste. L’accompagnement à la guitare des gitans s’appelle la pompe. La base pour faire sonner la pompe manouche est de la jouer avec un accent swing. Pour mémoire, la guitare d’accompagnement  était censée remplacer la batterie, elle comportait donc des accents, notamment ceux joués sur le charleston, sur le deuxième et quatrième temps.

La pompe est l’une des premières choses que l’on apprend an jazz manouche. Les gitans eux-mêmes disent qu’il faut passer plusieurs années à pratiquer la pompe avant de se lancer en solo. L’accompagnateur doit toujours jouer à un volume qui met en valeur le soliste. Le mouvement de la pompe se décompose en quatre temps avec un son plus sec et court sur le deuxième et quatrième temps. Cela a pour objectif de mimer le charleston de la batterie et ainsi de créer le swing.

Styles de morceaux en Manouche

Le jazz manouche utilisent différents types de rythmiques. La plupart des morceaux sont des swing avec un tempo plutôt rapide où la pompe en accompagnement est exclusivement utilisé. Mais Django Reinhardt a aussi composé des ballades tels que « Nuages » ou « Tears », des boléro avec sa célèbre composition « Troublant Boléro » ou bien encore des valses comme « Montagne Sainte Geneviève ».

Les compositions de Django Reinhardt et les morceaux manouche les plus joués sont :

  • Minor Swing
  • Django’ Tiger
  • les Yeux Noirs
  • Nuages
  • Djangology
  • All of me, Blues Clair
  • Manoir de mes rêves
  • Hungaria.

La lutherie particulière : les guitares manouches

Les guitares acoustiques manouches sont typiquement de type Selmer et Selmer-Maccaferri, inspirées des guitares à cordes d’acier françaises du début et du milieu du XXe siècle (le plus souvent le modèle argentin de la marque Savarez). Jacques Favino est l’un des grands luthiers spécialisés dans ce type de guitare, actuellement on peut citer les luthiers Maurice Dupont, Jean Baptiste Castelluccia, Romuald Provost, Cyril Morin, Galto, John LeVoi et Leo Eimers, qui ont tous réalisé la réplique Maccaferri de Selmer.

Il existe trois types de guitares de la marque Selmer :

  • Type Selmer-Maccaferri : caractérisée par une rosace en forme de « D », communément appelée « grande gueule ». Django a initialement utilisé ce modèle jusqu’à ce qu’il soit abandonné pour la production et remplacé par le modèle Selmer. Bien que certains luthiers indépendants aient depuis repris leur fabrication, elle est principalement utilisé pour la rythmique car il produit une gamme complète de sons.
  • Type Selmer : C’est la forme de guitare la plus connue (merci à Django). Elle se caractérise par une rosace en forme de « O » plutôt ovale, communément appelée « petite bouche ». Les petites bouches sont davantage utilisées pour les solos, projetant le son de manière plus ciblée, avec une coloration médium aigue.
  • Électrique de type Selmer : À partir de la fin des années 1950, Django utilise le microphone ST48 des ingénieurs français Yves et Jean Guen.

Discographie des grands noms du style manouche

  • Django Reinhardt / DJANGOLOGIE Volume 1 / 1928-1936
  • Django Reinhardt / Retrospective / 1934-1953
  • Joseph Reinhardt / Joseph joue pour Django / 10965 SIMM
  • Babik Reinhardt / Babik joue Django / 1974
  • Boulou et Elios Ferré / Pour Django / 1979 Steeplechase
  • Biréli Lagrène / Routes to Django / 1980 Jazzpoint Records
  • The Rosenberg Trio / Seresta / 1989 Hot Club Records
  • Fapy Lafertin / Fleur de lavende / 1991 Hot Club Records
  • Dorado Schmitt / Parisienne / 1995 Djaz Records
  • Romane et Stochelo Rosenberg / Elegance / 2000 Iris Music
  • Didier Lockwood / Tribute to Stéphane Grappelli / 2000 Dreyfus Jazz
  • Biréli Lagrène / Gipsy Project and Friends / 2002 Dreyfus Jazz
  • Angelo Debarre / Trio tout à cordes / 2008 Le chant du monde
  • Rocky Gresset / Rocky Gresset / 2009 Dreyfus Jazz
  • Tchavolo Schmitt / Mélancolie d’un soir / 2014 Label Ouest