HISTOIRE DE LA GUITARE DANS LE JAZZ

La place de la guitare a toujours été particulière dans l’Histoire du jazz. Instrument au début du XXe siècle uniquement acoustique, son rendu sonore trop faible cantonnait la guitare a un rôle essentiellement rythmique. C’est avec l’apparition des guitares amplifiées dans les années 40 que la guitare peut devenir un instrument soliste à part entière.

LES ORIGINES DE LA GUITARE DANS LE JAZZ

Au début du XXe siècle aux Etats Unis, la guitare, instrument peu onéreux et facile à transporter devient très vite, avec l’harmonica, l’instrument privilégié des bluesmen qui l’accordent souvent en open tuning et mélangent des lignes de basses avec l’utilisation du bottleneck. Le style le plus étonnant de cette époque reste sans doute le jeu en fingerpicking (avec tous les doigts de la main droite et sans médiator), hérité du ragtime et parfois transposé directement du piano.

Parmi ces guitaristes de blues acoustique, le plus légendaire reste Robert Johnson (1911-1938), l’homme dont on prétendait qu’il avait vendu son âme au diable contre son jeu de guitare. Lors de deux sessions enregistrées en 1936 dans des conditions rocambolesques, Johnson a laissé une œuvre originale et forte qui inspirera ou sera copiée par des dizaines de musiciens et guitaristes.

LA GUITARE JAZZ DANS LES ANNÉES 30

En ce qui concerne le jazz, la guitare apparaît rarement dans les orchestres de la Nouvelle Orléans où le banjo est préféré pour sa résonance et sa sonorité aiguë se mariant à merveille avec les basses profondes du tuba. Au début des années 20, en l’absence d’amplification, ces deux instruments passent beaucoup mieux aussi bien dans les clubs de jazz que sur les disques, le banjo permettant également de produire des effets pouvant faire oublier l’absence de batterie . Pourtant, avec les nouvelles techniques d’enregistrement et la plus grande souplesse exigée des sections rythmiques pendant les périodes mainstream et swing, la tendance s’inversera au début des années 30 avec le remplacement du banjo par la guitare et celui du tuba par la contrebasse. Pas mal de banjoïstes des années 20 se reconvertiront ainsi progressivement dans la guitare.

! Cependant, au début des années 30, si les guitaristes, qui commencent à utiliser le médiator procurant un son plus sec et plus précis, se sont faits une place au sein des orchestres de jazz (comme Clarence Holiday, le père de Billie, chez Fletcher Henderson, Fred Guy chez Ellington et surtout Freddie Green, chez Basie), ils sont encore loin de se faire entendre à part entière et se contentent de jouer les accords sur les quatre temps en se limitant à un rôle rythmique dont personne n’attend d’ailleurs qu’ils en transgressent les limites. Pourtant ici et là, surgissent quelques accidents : l’orchestre s’interrompt pendant quelques mesures, le temps pour le guitariste de placer un rapide solo, parfois en accords ou en arpèges, parfois aussi une ligne mélodique ou un trait improvisé souvent hérité du blues.

LES GUITARISTES PRÉCURSEURS DE LA GUITARE JAZZ

Venant du blues, Lonnie Johnson (1899 – 1970) est un guitariste essentiel dans l’histoire de la guitare jazz. A l’aise dans le blues classique mais aussi dans un contexte plus jazz (Armstrong mais aussi Ellington ) Johnson fût un mélodiste inspiré, ses lignes jouées avec vibrato sur une seule corde pouvant être considérées comme les balbutiements de ce que fera plus tard Charlie Christian. Ses duos avec le guitariste blanc Eddie Lang (1902 – 1933), qui est sans doute l’un des premiers improvisateurs à la guitare, sont passionnants par la richesse des mélodies et des rythmes et méritent vraiment d’être redécouverts. (Guitar Blues, Have To Change Keys To Play These Blues….)

Eddie Durham (1906-1987) peut être considéré comme celui qui a amené la guitare électrique au jazz. On peut l’entendre jouer sur une guitare à résonance acoustique munie d’un micro dans l’orchestre de Bennie Moten à Kansas City d’octobre 1929 à décembre 1932 . De 1935 à 1937, il fait partie de l’orchestre de Jimmie Lunceford où il est particulièrement bien mis en évidence sur le morceau Hittin’ The Bottle enregistré le 30 septembre 1935. Ce titre est l’un des premiers enregistrements de jazz enregistré avec une guitare électrique.

LA GUITARE DE BIG BAND

Les années 30 furent marquées par la période « swing » avec comme vedette Benny Goodman, Duke Ellington, Count Basie et autres grands chefs d’orchestre qui caractérisent cette « Big Band Era ». Le rôle de guitariste de grand orchestre garantissait un revenu régulier, mais ne laissant en revanche que peu de places à l’expression musicale. Pourtant les guitaristes de grand orchestre étaient nombreux : ils marquaient quatre temps par mesure et apportaient une sonorité moelleuse et compacte à la section rythmique. Il impliquait néanmoins un esprit d’ auto-sacrifice, dans la mesure où le guitariste souvent doté d’un savoir harmonique plus étendu que celui des solistes qu’il accompagnait, n’avait que rarement la possibilité de s’exprimer lui même en solo.

Tous les orchestres possédaient leurs rythmique : Lew Black avec les New Orleans Rythm Kings, Lee Blair avec Jelly Roll Morton, Fred Guy avec Duke Ellington. Le guitariste Fred Guy entra chez Ellington en 1925 et conserva son poste jusqu’en 1947. Une nouvelle race de rythmiciens apparut à partir de 1928 qui bien que parfaitement intégrée à la section rythmique, possédait le talent et la technique des solistes. Si leurs solos se faisait le plus souvent en accords, certains développaient de belles improvisations en lignes mélodiques. 

Lorsque la contrebasse remplaça le tuba, la tentation de doubler la mélodie à la basse disparut, et le rythme devint à la fois plus calme et plus fluide. La formule Banjo/tuba fut définitivement remplacé par le duo guitare/contrebasse.

FREDDIE GREEN : LE GUITARISTE DE BIG BAND

De tous les excellents rythmiciens célèbres de cette époque, un seul devait continuer à jouer de la guitare rythmique dans les années 40, comme si ni Charlie Christian, ni la guitare électrique n’avaient existé. Il s’appelle Freddie Green. Il est considéré comme le meilleur guitariste d’orchestre par ses pairs, reconnaissance qui provient de sa collaboration de plus de quarante années avec la Count Basie All American Rythm Section. Green fit sonner son premier accord en 1937 avec Count Basie. « En premier, lorsque je rejoignis Basie, j’essayai le jeu en lignes mélodiques, se souvient Freddie, mais cela ne collait pas avec l’orchestre. A l’évidence, ils ne voulaient de cela, donc, naturellement, je me consacrai à jouer le rythme. Ce fut dur pendant un temps, mais comme c’était mon premier boulot d’orchestre en fait, je jouai ainsi, pour leur faire plaisir. C’est ainsi que je devins guitariste rythmique, vraiment par accident. » Interrogé par la naissance de la rythmique Basie-Jones-Page-Green, Freddie Green se souvient : « Cela se fit. Nous n’avons rien fait pour avoir un son. Nous l avons crée en jouant. » La « All American Rythm Section » devint la carte de visite de Basie, elle fut la première à avoir un son immédiatement reconnaissable. Le « beat » caractéristique de l’orchestre dépendait en grande partie du son présent, régulier et précis de la guitare acoustique de Freddie. 

Une partie de son secret réside dans sa façon de tenir l’instrument. Il jouait de la guitare inclinée, presque posée à plat. Ainsi il peut faire des accords plus profonds essentiellement sur les quatre cordes graves. Ses cordes de gros calibre apporte leurs contributions à cela. « Je ressentais mieux la musique comme cela et j’avais les cordes plus hautes que la plupart des guitaristes car j’avais trouvé qu’on était mieux entendu comme ça. »